À propos du débat gènes VS environnement : qu'est-ce que l'héritabilité ?
Un concept subtil mais primordial pour "séparer" génétique et environnement
L'une des oppositions majeures entre la droite et la gauche est l'opposition entre inné et acquis, ou entre génétique et environnement.
La droite a plus souvent tendance à expliquer que certains traits et différences sont innés et génétiques, au moins en partie.
Tandis que la gauche va plutôt défendre l'idée que peu de choses sont innées, et que c'est l'acquis, ou l'environnement, qui est le facteur prépondérant. C'est une doctrine de la "page blanche" qui postule que nous sommes essentiellement façonnés par notre expérience.
Ce débat s'exprime de différentes manières, par exemple :
La droite pense que les différences hommes-femmes sont pour la plupart innées, tandis que la gauche pense qu'elles sont le fruit de la société, qui va par exemple imposer des stéréotypes "genrés".
La droite pense que les différences de performance entre individus ou groupes de populations s'expliquent souvent par des différence d'origine génétique, tandis que la gauche défend l'idée qu'elles sont entièrement d'origine environnementale.
La droite pense que la notion d'homme et de femme est dictée par la biologie, tandis que la gauche pense que tout le monde peut choisir d'être un homme ou une femme.
Le débat génétique/environnement est particulièrement présent dès que nous étudions les capacités ou traits psychologiques d'une personne ou d'un groupe. Le meilleur exemple est probablement l'intelligence.
En effet, il est fréquent de s'interroger sur l'origine génétique ou environnementale de l'intelligence, mais c'est un débat qui est difficile à mener puisqu'il faut d'abord comprendre les termes utilisés :
Pour commencer, rappelons qu'un individu correspond à des gènes qui s'expriment dans un environnement.
Par conséquent, dire que "l'intelligence d'une personne est génétique" ou que "l'intelligence est environnementale" n'a pas de sens, en toute rigueur.
Mais attention : il ne faut pas arriver à la conclusion relativiste qu'on ne peut donc jamais "séparer" les gènes de l'environnement. C'est là qu'entre en jeu la notion d'héritabilité.
La notion d’héritabilité
On ne peut pas dire si un trait chez UNE personne est génétique ou environnemental, mais on peut étudier dans quelle mesure les DIFFÉRENCES sur un trait donné, au sein d'une population, sont d'origine génétique ou environnementale.
Et c'est à ça que correspond l'héritabilité :
Dans le cas de l'intelligence, l'héritabilité est le pourcentage des différences d'intelligence (dans une population donnée) qui sont dues à des différences d'origine génétique.
Ainsi, lorsque je dis que "l'intelligence est héritable à 80% à l'âge adulte", cela veut dire que 80% des différences d'intelligence à l'âge adulte dans la population sont dues à des différences génétique.
L’analogie avec un gâteau
Pour mieux comprendre la notion d'héritabilité, nous pouvons faire l'analogie avec un gâteau :
Dire que l'intelligence est entièrement génétique ou environnementale est équivalent à dire que le goût d'un gâteau est entièrement dû à ses ingrédients ou à sa cuisson. Il est évident que le goût d'un gâteau va dépendre à la fois de ses ingrédients et de sa cuisson.
Mais si on a 2 gâteaux, la question prend sens : On peut se demander si la différence de goût entre les 2 gâteaux est due à une différence d'ingrédients ou de cuisson. Si 2 gâteaux ont été faits avec les mêmes ingrédients (et recette), alors la différence de goût entre les 2 est entièrement due à une différence de cuisson. Et vice-versa.
La distinction entre génétique et environnement ne prend son sens que lorsqu'on étudie les différences et leur origine.
CEPENDANT : Une fois que l'on comprend la notion d'héritabilité, alors on comprend aussi l'abus de langage qui peut parfois être fait. Par exemple, si quelqu'un dit qu'un trait est "essentiellement génétique", alors on peut se douter qu'il veut dire par là que l'héritabilité de ce trait est élevée dans la population. (C’est-à-dire que les différences entre individus sur ce trait sont principalement d'origine génétique).
J'ajoute qu'une héritabilité se calcule sur une population donnée, et donc l'héritabilité peut différer pour un même trait entre plusieurs populations.
“Trouver les gènes”
L'héritabilité d'un trait est le plus souvent mesurée via des études sur les jumeaux, et il est important de noter qu'on peut faire des calculs d'héritabilité SANS avoir à trouver les gènes associés.
En effet, un argument fallacieux utilisé par la gauche dès qu'on relie intelligence et génétique est que "nous n'avons pas trouvé les gènes de l'intelligence".
Non seulement, c'est de plus en plus faux puisque les études GWAS en trouvent davantage presque chaque année, mais surtout, nous n'avons PAS besoin de trouver les gènes associés (ce qui est une tâche extrêmement ardue pour des traits complexes comme l'intelligence) pour calculer une héritabilité, qu'elle soit faible ou élevée ! Nous faisons depuis des décennies des estimations d'héritabilité sur toutes sortes de traits, et il n'y a jamais eu besoin de "trouver les gènes" pour le faire.
Pour en revenir à l'héritabilité de l'intelligence, elle est estimée à plus de 80% à l'âge adulte dans les pays développés (Jacobs et al., 2007; Wright et al., 2001; Edmonds et al., 2008; Panizzon et al., 2014). Donc plus de 80% des différences de QI entre adultes dans les pays développés s'expliquent par des différences génétiques.
L'héritabilité est moins élevée au cours de l'enfance et l'adolescence, elle augmente jusqu'à l'âge adulte. C’est ce qu’on appelle l’effet Wilson. Les gènes s'expriment davantage avec le temps, contrairement à ce que suppose la gauche selon qui l'environnement devrait avoir une importance croissante car cumulative.
Une question qui se pose alors est la suivante :
Est-ce que l'héritabilité élevée de l'intelligence à l'âge adulte (>80%) signifie qu'elle est "immuable" et qu'aucune intervention sociale ne pourrait augmenter significativement le QI ?
Réponse courte :
En théorie, une héritabilité élevée n'est pas strictement incompatible avec le fait qu'une intervention sociale puisse augmenter significativement le QI
En pratique, aucune intervention sociale ne semble pouvoir le faire.
Réponse longue :
Les adeptes de la page blanche utilisent bien souvent les mêmes exemples pour prouver que même une héritabilité de 100% n’implique pas une immuabilité ou une fixité du trait en question, et qu’on peut quand même agir sur le trait via des interventions environnementales :
Un exemple très utilisé est le cas de la phénylcétonurie (PKU), une maladie génétique rare qui est entièrement déterminée par un seul gène et qui peut causer une déficience intellectuelle. Pour pouvoir vivre sans impact majeur lorsqu’on subit cette maladie, il faut suivre un régime spécifique, essentiellement pauvre en protéines.
Dans ce cas, l’héritabilité de la maladie est de 100% puisqu’elle est causée par une seul gène spécifique, et pourtant les effets délétères sur l’intelligence de la PKU peuvent être grandement évitées par une intervention environnementale qui est un certain régime.
De même, votre mauvaise vue pourrait avoir une explication entièrement génétique, mais pour autant, une intervention environnementale (une paire de lunettes) peut régler le problème.
On en conclut donc qu’un trait qui a une héritabilité de 100% peut tout de même être largement influencé par l’environnement. Mais cela ne prouve en aucun cas qu’il existe donc forcément une intervention environnementale qui pourrait augmenter significativement le QI même si son héritabilité est élevée.
En réalité, nous avons toutes les raisons de croire qu’il n’y aucune intervention sociale qui pourrait augmenter le QI au-delà de quelques points, pour des enfants qui vivent déjà dans des pays développés (et donc ne subissent pas de problème de malnutrition, d’absence de scolarisation, etc).
En effet, il faudrait trouver un facteur environnemental qui ne varie PAS déjà beaucoup au sein de la population : puisque si un facteur environnemental majeur qui varie dans la population expliquait une grande partie des différences de QI entre les individus, cela ferait baisser mécaniquement l’héritabilité.
Lorsqu’une héritabilité est élevée, le seul type d'intervention qui puisse fonctionner correctement est donc une intervention qui introduirait un nouveau type de variation environnementale.
Dans le cas de la PKU, il s'agit d'un régime sans phénylalanine, qui n'existait pas auparavant. Dans le cas des problèmes de vue, il s'agit des lunettes, une nouvelle “technologie” qui contrecarre la défaillance des yeux.
Il n'y a rien de tel dans la politique sociale. Chaque intervention sociale s'efforce de modifier quelque chose qui varie DÉJÀ d'un foyer à l'autre, qu'il s'agisse du nombre de livres à la maison, de la lecture aux enfants, du soutien scolaire, du régime alimentaire, etc. Ces interventions sociales, dont les études montrent qu'elles ne fonctionnent pas bien, ne fonctionneront probablement jamais.
Sur ce dernier point, vous pouvez trouver plus de détails dans l’excellent article d’Emil Kirkegaard dont je me suis inspiré.
Je vous recommande également la lecture de mon article sur le lien entre génétique et intelligence, publié sur mon blog Je Réinforme.